2016 : année critique pour le lac et les habitants

  L’incompréhensible paradoxe annécien

Par Olivier Labasse – Bien Vivre à Veyrier

 

Terre dans le lac COP 21Tous les pays de la planète se sont engagés à réduire leurs émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) lors de la 21ème conférence de l’ONU sur le Climat (COP 21) de Paris qui s’est terminée le 11 décembre 2015. 186 d’entre eux devraient revoir, sur la base du volontariat, leurs engagements à la hausse d’ici à 2020.

Les villes et zones urbaines sont responsables de 60% à 70% (CO2) de la pollution émise; les maires avant-gardistes[1] de plus de 400 grandes villes responsables, emmenés par celui de Paris et l’ancien édile de New York, n’ont pas attendu les Etats pour prendre des mesures audacieuses en faveur du climat et de la réduction de la pollution : en première ligne, ils ont compris depuis plusieurs années qu’ils pouvaient agir efficacement pour améliorer la santé, prolonger l’espérance de vie des habitants et rendre leurs villes plus attractives pour les entreprises, les touristes, les investisseurs.

Le réchauffement climatique est aussi une question de santé publique. Pour mieux répondre aux besoins croissants de mobilité et réduire les risques sur la santé et le climat, la plupart des villes se dotent de solutions de transport respectueuses de la santé et du climat, c’est-à-dire de la qualité de l’air. Malheureusement  aucun signal de cette nature dans la préfecture et le département de la Haute-Savoie arc-boutés sur des convictions idéologiques du  passé.

Annecy a pourtant été classée, par l’Organisation Mondiale de la Santé, 2ème ville la plus polluée de France  en microparticules de diamètre inférieur ou égal à 2,5µ (PM 2,5), les plus nocives[2], et, sur ce même marqueur, Préfecture la plus polluée de la Région par Air Rhône-Alpes en 2013, 2014 et au 1er trimestre 2015. Les habitants souhaiteraient  respirer sans que cela nuise gravement à leur santé.

Le trafic routier constitue, en lien avec la consommation quasi exclusive de combustibles fossiles, l’un des principaux émetteurs de CO2 mais aussi de particules fines (PM 10 et PM 2,5) et d’oxydes d’azote (NOx) dangereux pour la santé : 65% des émissions d’oxydes d’azote et 28% de celles de microparticules lui étaient liées sur le bassin annécien en 2013. Après une longue période de déni, les élus ne l’ignorent plus.

la congestion des routes, que beaucoup d’entre nous subissent au quotidien par absence d’alternative performantes […] risque de s’amplifier à l’horizon 2030 avec la croissance démographique

En Haute-Savoie la voiture particulière est favorisée depuis plus d’un demi-siècle, au détriment de solutions collectives et de la multi-modalité qu’attendent beaucoup de nos concitoyens et visiteurs. En bassin annécien, la congestion des routes, que beaucoup d’entre nous subissent au quotidien par absence d’alternative performante et faiblesse de l’offre de transports collectifs[3], soulignées en  avril 2014 dans une étude du Laboratoire d’Economie des Transports (Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement), risque de s’amplifier à l’horizon 2030 avec la croissance démographique prônée par le SCoT (+20%) mais surtout avec les projets d’infrastructures routières de la C2A et du Conseil Départemental (CD 74) qui sont en contradiction totale avec les recommandations des 2 cabinets d’études spécialisés (TTK et SYSTRA) pourtant diligentés par eux depuis 2012.

Ainsi, le « Schéma multimodal des transports du bassin annécien à l’horizon 2030 », seule étude exhaustive (car multimodale[4]) disponible, démontre, pour la rive Ouest du Lac, que le scénario « tunnel routier sous le Semnoz et nouvelle voie urbaine ( NVU) de raccordement » couplés à un car abusivement qualifié de Bus à Haut Niveau de Service (BHNS) provoquerait une augmentation des émissions de GES et autres polluants de + 26% par rapport à une situation sans tunnel et NVU en 2030, ou de + 40% (croissance démographique et baisse de consommation du parc auto intégrées) par rapport à 2015. Même pourcentage que celui de l’objectif  de réduction Européen  ou de celui annoncé par la ville de  Paris pour 2030, mais signe inverse!

La protection de la nature, espace bleu et espaces verts, et de la santé des habitants doit-elle s’effacer au profit d’une « touristication » outrancière, d’une économie touristique non durable ?

Pourquoi, dans le bassin annécien, persister à faire le contraire de tous? La sauvegarde de notre petit lac alpin, engagée avec succès par des élus visionnaires en 1954, n’est plus à l’agenda des élus locaux du 21ème siècle qui entendent le ceinturer de voies routières de transit largement bitumées, le transformer en lac urbain, en piste de cirque à double révolution? La protection de la nature, espace bleu et espaces verts, et de la santé des habitants doit-elle s’effacer au profit d’une « touristication »[5] outrancière, d’une économie touristique non durable ? Absence de vision, de projection? Archaïsme de la pensée politique locale ? Calcul à caractère populiste  sur le financement du contournement d’Annecy au détriment des communes plus excentrées de la rive Ouest? Les partisans de l’ouvrage routier sous le Semnoz et de sa NVU qui raccorderaient la rive Ouest du lac à un nœud routier où circulent quotidiennement 130 000 (moyenne) à 180 000 (pointes saisonnières) véhicules (comptages du CD 74) devraient se rapprocher du Maire de Chamonix pour mieux se documenter sur l’intérêt, y compris touristique, du petit train rouge du Fayet à Martigny (report modal de 50% en saison entre Servoz et Vallorcine) et appréhender  la vraie problématique du tunnel sous le Mont Blanc : inauguré en 1965, 5 décennies et une  catastrophe plus tard, son trafic atteint 1 800 000 véhicules / an, dont 31% de poids lourds, et 27 200 véhicules / jours pour l’autoroute blanche le desservant, avec la pollution récurrente de la vallée de l’Arve et la destruction irréversible des sites, insupportables pour les habitants et les amateurs d’abîmes. On n’y vient plus pour respirer le bon air et certains en partent.

Plus incompréhensible, la position du Maire d’Annecy. Elu début décembre Président du « GIE  Objectif transport public », dont l’un des objectifs est précisément « l’avenir de la mobilité durable », Co-président du groupe de travail « transport, …développement durable » de l’Association des Maires de France, ingénieur SNCF, à l’initiative en novembre d’une démarche de concertation locale,  le « Conseil d’orientation de la qualité de l’Air » ( COQA), il aurait  affirmé, lors du Conseil de communauté C2A le 17/12/2015, que, malgré l’augmentation des coûts de la NVU (80 millions €) coté Seynod, concernant  le tunnel ( 140 millions €), qualifié d’opportunité historique[6], « c’était déjà actéinutile d’y revenir, le débat n’a plus cours» ; et d’ajouter qu’il était hors de question d’envisager un TCSP guidé (transport collectif en site propre guidé ou tram-train électrique) sur la large emprise SNCF qui, retrouvant sa vocation première, pourrait l’accueillir à côté de la piste cyclable. Sauf à déceler une posture de circonstance, le tramway du lac d’Annecy, qui commence à réunir des partisans à la C2A, ne devrait pas rejoindre rapidement  le  tramway du  Mont Blanc dans les « best of » touristiques de la Haute- Savoie ou le « top ten » de WWF et de l’ADEME; sauf  à ce que soient entendues les voix des habitants et de la raison.

D’autant plus incompréhensible et paradoxal que le projet tout routier défendu par la C2A et le CD 74 est non seulement en opposition avec  les objectifs de l’Etat, les engagements du Plan Climat Energie territorial (« réduction des émissions de GES »), ceux de l’Europe et de la Convention Alpine, mais aussi incohérent avec les objectifs du SCoT (« réduction de l’usage de la voiture par report sur des transports en commun attractifs »), et l’engagement TEPOS (Territoire à énergie positive) pour la croissance verte « Annecy(C2A)- Bauges (Parc naturel)- Chambéry (Métropole) » signé le 20 Août 2015 en présence du Président de la République et de la Ministre de l’Ecologie ; la C2a s’y est engagée pour «  la réduction des émission de GES et la diminution des transports individuels, notamment en zone péri-urbaine ». La légitimité de l’élection n’autorise pas à s’exonérer du respect de la loi et de l’engagement public. Surtout si l’on se souvient des taux cumulés d’abstention, blancs et nuls aux élections municipales d’Annecy en 2014 (51,6%) et aux Départementales de 2015 (59,9%).

Les réponses que nous ont adressées la Ministre de l’Ecologie et son secrétaire d’Etat aux transports le 21 septembre valident notre initiative citoyenne d’un  Grenelle démocratique.

La première réunion publique apolitique des 14 associations pour un Grenelle des transports et de la qualité de l’air du bassin annécien » a réuni près de 300 personnes à Saint-Jorioz le 14 Juillet ; la seconde a fait salle comble à la maison des Eaux et Forêts d’Annecy le 19 novembre 2015 ; elles ont démontré l’intérêt que portent nos concitoyens aux enjeux de santé, de mobilité, de protection du site, de bonne gestion des finances publiques; et aussi leur aversion du passage en force dans une démocratie qu’ils souhaiteraient exemplaire dans son fonctionnement. La seconde a en effet permis d’ouvrir un débat instructif avec quelques élus du Département et de la Région. Bon début; qu’ils en soient remerciés.

Nous attendrons, avec les premières semaines de 2016, les conclusions du COQA installé le 14 octobre 2015 par la C2A avec notre soutien et la réunion de son Comité de pilotage, auquel nous avons accepté de participer, ainsi que la 2ème réunion d’échange avec le CD 74 sur le projet « mobilité Ouest : tunnel sous le Semnoz – BHNS 1508 sud – nouvelle voirie urbaine» pour apprécier la fidélité des synthèses, la pureté des intentions et comprendre la logique des paradoxes.

En Haute- Savoie comme ailleurs, le développement sera durable, c’est-à-dire soutenable, ou ne sera pas.

Bonne année 2016

Olivier Labasse

OL- 28/12/2015

[1] Cf. « Compact of Mayors » (Pacte des Maires)

[2] Pathologies respiratoires, cardiovasculaires, cancers. (InVS)

[3] Au sein de la C2A, zone la plus dense, seuls 8% des déplacements sont effectués en transports collectifs.

[4] Ce qui n’est pas le cas de l’étude ( ?) « pro-domo » annoncée par le CD 74 fin novembre pour tenter de  justifier un choix malheureux.

[5] Ou «  massification » du tourisme  avec la névrose sécuritaire qui l’accompagne. Comme l’agriculture, le tourisme gagne à être raisonné.

[6] Allusion au percement du tunnel du Mont Blanc ?

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