Un PDU climaticide et partial

Contribution à l’enquête publique sur le PDU 2030 du Grand Annecy

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Note préliminaire

Dans cette contribution, il sera fait référence principalement aux documents suivants :

  • « Projet de PDU proposé, Conseil Communautaire, 27 juin 2019 »
  • « Projet de PDU proposé, Conseil Communautaire, 27 juin 2019, Annexe environnementale »
  • « Avis délibéré de la mission régionale d’autorité environnementale Auvergne-Rhône-Alpes relatif au projet de révision du plan de déplacements urbains de la communauté d’agglomération du Grand Annecy (Haute-Savoie) » (Avis n° 2019-ARA-AUPP-826 délibéré le 5 novembre 2019)
  • Afin de ne pas alourdir le texte, nous y ferons référence sous les termes respectifs « PDU »,  « PDU-AE » et « AVIS-MRAE ».

Résumé de notre contribution

Le projet de PDU présenté à l’enquête publique est à la fois très fourni, irréaliste et paradoxal.

Très fourni car il présente 48 mesures assez finement détaillées, programmées et chiffrées qui couvrent apparemment tous les aspects de la mobilité et des déplacements, même si leur importance, très variable, n’est guère mise en évidence[1]. On constate en particulier qu’une seule mesure, la N°31 (les projets routiers), va coûter bien plus que toutes les autres mesures réunies, et qu’il s’agit justement de celle qui aura un impact négatif dans les domaines biodiversité, paysage, eau, risques et nuisances, climat air énergie (voir PDU-AE p57). Le Grand Annecy investit donc bien davantage sur ce qui a un impact négatif que sur ce qui a un impact positif.

Irréaliste car la réduction annoncée de 13% des émissions de CO2 est fondée sur des hypothèses que nous considérons comme très contestables : une hypothèse d’urbanisation basse sur un territoire extrêmement attractif, une réduction du trafic malgré l’amélioration des capacités routières et la construction de parkings en centre-ville, un basculement modal massif vers le vélo avec une part modale multipliée par cinq… pour ne citer que ces facteurs.

Paradoxal enfin, car bien que le secteur couvert par le PDU, à savoir les transports, soit celui qui pèse le plus en matière d’émissions de gaz à effet de serre – entre 42 et 46% du total –, les objectifs de ce PDU (-13% d’émissions de CO2) sont bien en-deçà de celui du Grand Annecy de limiter la hausse des températures à +1,5°C (et donc de réduire ces émissions de 45% d’ici 2030). Pour tenir cet objectif, la plus grande partie de l’effort est donc de fait reportée sur les secteurs non couverts par le PDU (agriculture, industrie, résidentiel, tertiaire), qui devraient pour compenser baisser leurs émissions de CO2 de 70% ! Cela constitue une gageure inatteignable.

En conclusion, si l’ensemble du PDU a bonne allure, il est construit – sans toutefois le dire de manière explicite – sur un affichage politique qui accrédite des hypothèses structurantes peu crédibles ne résistant pas à un examen attentif. Nous exprimons le vœu que la commission d’enquête le relève également et émette un avis défavorable sur ce projet.

SOMMAIRE

A/ L’impact climatique

B/ La pollution

C/ Un PDU partial

A/ L’IMPACT CLIMATIQUE

Le secteur des transports est de loin le secteur le plus émetteur sur le territoire du Grand Annecy avec 42% des émissions de CO2 (selon OREGES, cf PDU-AE p 16) ou 46% des émissions de GES (selon ATMO, cf PDU-AE p124). C’est donc sur ce secteur qu’il faut agir en priorité.

L’annexe environnementale du PDU nous apprend qu’avec les projets routiers (action N°31 du PDU) mais sans les autres actions, on parviendrait à une baisse de 4% des émissions de CO2 liés aux transports entre aujourd’hui et 2030. Les autres actions du PDU permettraient une baisse supplémentaire de 9%, ce qui aboutirait à une baisse totale de 13% des émissions de CO2 d’ici 2030.

Nous considérons ces chiffres comme étant à la fois :

  1. Largement contestables
  2. Totalement irréalistes au vu de la politique de mobilité du Grand Annecy
  3. Nettement insuffisants au regard des engagements locaux, nationaux et internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES)

Nous allons développer ces trois points.

I/ Des prévisions de baisse des émissions de CO2 largement contestables

a/ Les prévisions pourtant plus pessimistes fournies lors de la concertation du projet LOLA étaient déjà contestables

Il faut rappeler que lors de la concertation publique du projet Liaisons Ouest du Lac d’Annecy ou LOLA (tunnel routier sous le Semnoz et bus dit « à haut niveau de service » ou BHNS), il avait été écrit dans le document d’évaluation de la qualité de l’air[2] que d’ici 2030 et en tenant compte des projets routiers conventionnés GA-CD74 hors LOLA, « les émissions de CO2 liées au trafic routier augmentent quant à elles de près de 14%, la diminution des consommations unitaires de carburant ne compensant pas entièrement la hausse des distances parcourues. ». Dans le même document, il est écrit qu’avec le projet LOLA « La variation des émissions de CO2 est quasiment identique (baisse de 0,1%) grâce à l’amélioration de la congestion. »[3]

On constate donc qu’avec les projets routiers mais sans les autres actions du PDU, on est passé d’une estimation de +13,9% (14-0,1) à une estimation de -4%. On gagne donc 17,9%, sans qu’on sache bien pourquoi. Dans le dossier du PDU, il est écrit que « Pour les deux premiers scénarios « 2017 » et « 2030 tendanciel », les émissions calculées par ATMO Auvergne-Rhône-Alpes diffèrent légèrement de ceux présentés en 2018 lors de l’étude du projet « mobilité ouest », car les données de modélisations du trafic de l’agglomération d’Annecy ont été mises à jour en 2019, avec les dernières informations disponibles, par le bureau d’étude Transmobilités. » (PDU-AE page 111). Mais on ne nous dit pas en quoi les données de Transmobilités seraient meilleures que celles de BG. Ces dernières ne seraient donc plus à prendre en compte ? Par ailleurs, écrire que les deux estimations « diffèrent légèrement » n’est pas approprié puisque la différence est considérable : 17,9% d’émissions de CO2 !

Toujours est-il que pour obtenir ce nouveau chiffre (-4% au lieu de +13,9%), on suppose que l’estimation de l’impact climatique du projet LOLA n’a sûrement pas été revue dans un sens vers davantage d’émissions de CO2. Or, la baisse prévue de 0,1% des émissions liées au tunnel et au BHNS est déjà contestable pour différentes raisons :

  1. Elle est attribuée à une « amélioration de la congestion ». Or, l’étude de trafic montre que la congestion ne sera pas améliorée mais simplement déplacée du tronçon Annecy-Sevrier vers le tronçon Sevrier-St Jorioz. En effet, le chiffre cumulé des heures de pointe du matin et du soir est exactement le même en 2030 entre d’une part le trafic Annecy-Sevrier sans tunnel (1390+1190 UVP/h) et d’autre part le trafic Sevrier-St Jorioz avec tunnel (1260+1320 UVP/h)[4].
  2. Le trafic induit par une nouvelle infrastructure routière, pourtant bien connu de tous les experts en transports, n’a pas été pris en compte. En effet, selon l’experte de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) : « Le modèle utilisé répartit un trafic défini entre les itinéraires possibles. Il ne crée pas de trafic. Or, une nouvelle infrastructure induit de nouveaux déplacements. »[5]
  3. Toujours selon l’experte de la CNDP, les prévisions de trafic doivent aussi être revues à la hausse car le projet de doublement de la RD3508 Sud n’a pas été pris en compte : « Dans une optique de bonne compréhension du projet à l’échelle du PDU, le doublement de la RD3508 (contournement ouest d’Annecy) dans sa section sud devrait être intégré au périmètre. »[6] Or, ce tronçon, qui constitue le dernier verrou du contournement d’Annecy qui va de l’élargissement de l’A41 au nord d’Annecy jusqu’au tunnel sous le Semnoz, ne manquera pas de générer lui aussi du trafic induit.
  4. Tout simplement, en faisant appel au bon sens : on ne voit pas comment faire des routes et donc favoriser le trafic automobile peut faire baisser les émissions de CO2.

Pour toutes les raisons données ci-dessus, on voit que l’impact climatique des transports et en particulier celui lié aux projets routiers a été minimisé lors de la concertation LOLA. Etant donné que les prévisions données par le PDU sont moins pessimistes que celles données lors de la concertation du projet LOLA, elles sont donc au moins aussi contestables.

b/ Une baisse des émissions de CO2 est annoncée avec la réalisation des projets routiers et sans les autres actions du PDU.

Cette baisse serait donc de 4% d’ici 2030.

On a du mal à croire qu’on puisse faire baisser les émissions de CO2 en réalisant de nombreux projets routiers.

En effet, selon le Commissariat général au développement durable, la baisse de la consommation des véhicules ne suffit pas à compenser l’augmentation du trafic : « Les émissions [de CO2] du transport de voyageurs ont crû de 8 % entre 1990 et 2016. En effet, la baisse de la consommation des véhicules ainsi que celle du contenu carbone d’origine fossile de l’énergie n’ont pas suffi à compenser la hausse du volume de déplacements, facteur auquel s’est ajoutée la baisse du taux d’occupation des véhicules »[7].

Alors comment ici à Annecy, avec les nombreux projets routiers qui ne manqueront pas d’augmenter le « volume de déplacements », et avec une amélioration technologique qui « atteint un plateau » (PDU-AE pages 130 et 146), comment peut-on prétendre faire baisser les émissions de CO2 ?

c/ Les hypothèses d’urbanisation

On note que dans le document « La qualité de l’air dans le PDU du Grand Annecy, ERRATUM à la présentation du 22/05/19 (ATMO AURA, 11/06/2019) »[8], les prévisions sur les émissions de CO2 du transport routier étaient au départ les suivantes :

  • Tendanciel 2030 (avec LOLA) : +1%
  • 2030 avec PDU : -9%

Puis elles sont devenues :

  • Tendanciel 2030 (avec LOLA) : -4%
  • 2030 avec PDU : -13%

L’explication donnée est qu’on passe d’une hypothèse d’urbanisation haute à une hypothèse d’urbanisation basse[9], ce qui fait baisser mécaniquement les prévisions d’émissions. Nous saluons la volonté des élus de contenir l’urbanisation mais nous sommes pour le moins dubitatifs sur le fait de ne retenir qu’une hypothèse, celle d’urbanisation basse, vu l’évolution démographique galopante d’un territoire aussi attractif.

Notons aussi au passage que dans cet « erratum », les émissions 2017 ont été revues à la hausse, sans qu’on sache pourquoi, et ce pour tous les types de transports (VUL, VP, PL, bus+cars). Evidemment, en rectifiant à la hausse toutes les émissions de 2017 et à la baisse les émissions de 2030, on arrive à une amélioration des chiffres.

d/ Les hypothèses de report modal

D’abord nous remarquons que le modèle de trafic utilisé est biaisé puisque selon l’annexe environnementale, « La modélisation réalisée concerne uniquement les circulations motorisées en heures de pointe et en jours ouvrés hors congés scolaires. » Or, le report modal de la voiture individuelle vers les modes de transports décarbonés (transports en commun, vélo…) est forcément plus important en heures de pointe que quand ça roule bien. La modélisation va donc automatiquement surestimer le report modal global et donc la baisse des émissions de CO2.

Toujours dans le modèle de trafic, il est écrit que « Pour un itinéraire modélisé, lorsque le coût du déplacement en transports en commun [TC] est égal au cout de déplacement en véhicule personnel [VP], alors 50% de la demande de déplacement s’effectue en TC et 50% en VP. »

Sans être experts en trafic, nous émettons de forts doutes sur cette règle. Le facteur temps de trajet, essentiel, est-il pris en compte ?

Venons-en aux hypothèses chiffrées de report modal d’ici 2030, nous sommes ici au cœur du sujet.

Les ambitions sont données en page 25 du PDU :

On voit que l’objectif est de faire baisser la part modale de la voiture de 65% à 53%, les deux tiers de cette baisse provenant du report modal vers le vélo.

Si l’objectif de report modal vers les TC nous parait peu ambitieux, celui vers le vélo nous semble pour le moins présomptueux. La ville la plus vertueuse de France, et de loin, est actuellement Strasbourg avec 8% de part modale dans l’agglomération : le retard pris par Annecy est énorme.

D’ailleurs, l’objectif d’avoir 300 km de pistes cyclables d’ici 2030 est jugé « infaisable » par le Vice-président du Grand Annecy à la mobilité lui-même[10]. En effet, René Desille a l’honnêteté de préciser : « Cela représente 30 km par an. C’est totalement fou quand on sait le mal que l’on a déjà à faire 2 ou 3 km », pointant deux problèmes : l’acquisition du foncier et son déclassement lorsqu’il est en zone agricole. On peut donc déduire des propos du Vice-président que l’objectif de baisser de 13% les émissions de CO2 dues aux transports d’ici 2030 est « infaisable » (cette baisse comptant surtout sur un report modal massif vers le vélo). Nous pensons néanmoins que c’est aussi une affaire de choix politique, puisqu’on n’est pas forcément obligé d’acquérir du foncier pour faire des pistes cyclables : on peut aussi réduire significativement l’espace dédié à la voiture. D’autres villes le font.

Ajoutons ici que l’attractivité plus ou moins forte des solutions de transports collectifs à retenir sur le Grand Annecy aura un impact déterminant sur le report modal de la voiture vers les TC. Il s’agit là notamment du résultat escompté de l’action n° 3 du PDU, action qui doit déboucher sur la décision de mettre en place, ou pas, un réseau de tramways. Dans l’état actuel des choses, cette orientation n’est pas du tout acquise et le report modal résultant d’un réseau routier fortement amélioré et de TC d’attractivité très modeste sera faible, voire négatif.

La Mission Régionale d’Autorité environnementale (MRAe) pointe d’ailleurs le fait que « Ces objectifs d’évolution [de la répartition modale à l’horizon 2030] paraissent ambitieux, tout particulièrement pour le développement de l’usage du vélo. » et que «  la justification de la capacité de ce plan d’action à atteindre les objectifs d’évolution de répartition modale n’est pas présentée. » (AVIS-MRAE page 9).

Concernant les projets routiers, la MRAe écrit que d’autres solutions devraient être étudiées au regard du report modal : « Notamment les choix d’infrastructures, en particulier les infrastructures routières de l’action n° 31, mériteraient d’être justifiés au regard des autres solutions possibles et de leur contribution aux objectifs d’évolution de la répartition modale. L’Autorité environnementale rappelle qu’au titre de l’évaluation environnementale, le rapport environnemental doit présenter les différentes options possibles permettant de répondre à l’objet du plan, ainsi que les avantages et inconvénients de ces différentes options.» (AVIS-MRAE page 10, nous avons laissé les caractères gras).

Elle recommande même en paragraphe final de son avis « de ne plus considérer le projet LOLA comme une donnée d’entrée du PDU, et donc de suspendre dans l’immédiat la poursuite de ce projet de façon à approfondir les études amont et la réflexion, y compris sur les autres solutions possibles (dont certaines sont évoquées dans le bilan de la concertation préalable), afin d’identifier clairement la solution la plus pertinente au regard des impacts environnementaux et des objectifs généraux du PDU. » (AVIS-MRAE page 13, nous avons laissé les caractères gras).

D’une manière générale, ces objectifs de report modal nous paraissent intenables au vu des politiques menées, c’est ce que nous allons développer dans le paragraphe suivant.

II/ Des objectifs irréalistes au vu des politiques menées

Le 27 juin 2016, le Président du Conseil Départemental de la Haute-Savoie (CD74) et le Président de l’Agglomération d’Annecy (Grand Annecy, ex-C2A), ont signé une convention de financement global à hauteur de 432 millions d’euros pour neuf projets routiers programmés dans l’agglomération annécienne[11]. Or, plus de 80% de ce budget est dédié au développement des routes (dont le tunnel sous le Semnoz, le doublement du contournement d’Annecy – RD3508 – et l’élargissement de la RD1508 Nord), favorisant ainsi l’usage de l’automobile.

Il faudra sans doute ajouter une centaine de millions d’euros pour les aménagements routiers demandés par les communes de la rive ouest afin d’essayer d’amortir les nuisances dues au flot de voitures supplémentaires que leur amènerait le tunnel sous le Semnoz (+36% entre Sevrier et St-Jorioz et +44% entre St-Jorioz et Doussard[12]).

Ce sont ainsi plus de 400 millions d’euros d’argent public qui vont favoriser l’usage de l’automobile (usage qui sera encore davantage favorisé par l’élargissement à 2×3 voies de l’A41 au Nord d’Annecy, sur fonds privés mais avec la bénédiction des élus).

Il faut encore ajouter à cela les projets de parkings en centre ville, qui faciliteront l’accès des habitants à l’hypercentre en voiture.

En regard de cela, il est difficile de définir précisément le budget accordé aux modes de transport décarbonés, mais nous allons tenter de l’estimer.

L’évaluation financière fournie (PDU pages 170-171) nous donne quelques pistes : on voit que d’ici 2030, quelques dizaines de millions d’euros seront consacrés aux transports en commun, un million aux parkings relais en entrée d’agglo, un peu plus de 2 millions par an au vélo soit environ 24 millions d’ici 2030, un peu plus de 2 millions pour le covoiturage et l’autopartage.

Curieusement, l’action N°31 « Réalisation des aménagements routiers en partenariat avec le département de la Haute-Savoie » donne les coûts suivants : « Aménagement routiers nouvelles voiries urbaines : 58 M€ à l’horizon 2030, Liaison de transport publics en TCSP : 26,7 M€ », alors que la convention de financement du 27 juin 2016 indique que 155 millions seront financés par l’agglomération d’Annecy. Où sont passés les 70 millions manquants ?

Par ailleurs, l’article du journal le Dauphine Libéré[13] nous apprend que le PDU coûterait 152 millions. Si l’on veut ne compter parmi eux que les investissements sur les transports décarbonés, sans doute faut-il soustraire les 58 millions prévus pour le poste « Aménagement routiers nouvelles voiries urbaines », reste donc 94 millions.

On peut donc estimer que dans l’agglomération, plus de 400 millions sont consacrés aux routes (financés le CD74 et le GA) contre moins de 100 millions consacrés aux modes de transports décarbonés. Parmi ces 100 millions, environ 25 millions seulement sont consacrés au vélo, alors que pour rappel on compte en quintupler l’usage pour passer de 2% à 10% de part modale.

Comment nous faire croire à un report modal aussi massif vers le vélo, et à un report modal aussi modéré soit-il vers les transports en commun, alors que les budgets mobilité sont véritablement siphonnés par les projets routiers au détriment des modes de transports décarbonés ?

En toute logique, on peut craindre un report modal « à l’envers », c’est-à-dire vers la voiture, tant on en favorise l’usage.

Dès lors, l’objectif de baisser de 13% des émissions de CO2 des transports d’ici 2030, basé sur ces objectifs de report modal, parait totalement illusoire.

III/ Une ambition nettement insuffisante au regard des objectifs locaux, nationaux et internationaux

Rappelons ici les objectifs internationaux, européens, nationaux et régionaux et locaux de réduction des émissions de GES.

L’objectif de l’accord de Paris (signé lors de la COP21 en 2015) est « de contenir la hausse des températures bien en deçà de 2 °C et de s’efforcer de la limiter à 1,5 °C. »[14]

Le rapport d’octobre 2018 des scientifiques du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) recommande, pour limiter la hausse à 1,5°C, de réduire nos émissions de CO2 de 45% au niveau mondial d’ici 2030 par rapport à 2010, et pour cela d’engager des transformations « rapides » et « sans précédent ». « En clair cela veut dire les diviser par deux entre 2020 et 2030 », précise le climatologue Jean Jouzel[15].

L’Union européenne à pour objectif de réduire d’au moins 40 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990.

En France, la loi LOM sur les mobilités, adoptée le 17 septembre 2019, indique : « L’objectif de neutralité carbone en 2050 inscrit dans la loi, conformément au Plan climat, avec une trajectoire claire : – 37,5 % d’émissions de CO2 d’ici 2030 »[16].

Dans l’annexe « Evaluation environnementale » du Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET)[17], il est écrit : « L’objectif de la Région AuRA est d’atteindre une baisse de 30 % des émissions d’origine énergétique et non énergétique, à l’horizon 2030 par rapport à 2015. »

Or, le PDU doit se conformer aux objectifs du SRADDET, mais -13% ne font pas -30%, loin de là.

On peut pourtant lire dans le PDU (PDU-AE page 79) : « On observe que le PDU est en adéquation avec les orientations du SRADDET ».

Le 24 octobre 2019, lors de la soirée de restitution des ateliers climat du Grand Annecy, qui doivent contribuer à l’élaboration du Plan Climat Energie Territorial (PCAET) de l’agglomération, le Président du Grand Annecy a annoncé l’ambition « d’atteindre la neutralité carbone et limiter le réchauffement climatique à 1,5°C sur le territoire de Grand Annecy en 2050 ». D’après le livret de douze pages qui nous a été distribué[18], l’objectif pour le volet mobilité est une baisse de 45% des émissions de GES, sans qu’il soit indiqué à quel horizon mais on peut supposer que c’est 2030, puisque d’une part ça correspond aux recommandations du GIEC pour l’objectif annoncé de 1,5°C, et que d’autre part et sauf erreur le Vice-président Climat Air Energie a annoncé oralement l’objectif de baisse de 50% de nos émissions à cette échéance. A noter que dès le début des ateliers climat, il nous a été annoncé que le secteur des transports ne serait pas mis au débat et que le PDU servirait de volet mobilité du PCAET.

Dès lors, comment combler l’énorme écart entre l’objectif du PDU et celui annoncé lors de la restitution des ateliers climat ? Peut-être a-t-on un début de tentative en page 11 du livret :

Ces trois points totalement flous ne vont certainement pas permettre de faire baisser les émissions de GES des transports de 45% au lieu de 13%. Il semble inutile d’argumenter cela et ça ferait sourire si le sujet n’était pas si sérieux.

On constate donc que les objectifs du PDU en termes de réduction des émissions de CO2 sont totalement insuffisants par rapport aux objectifs internationaux, européens, nationaux, régionaux et aux objectifs du Grand Annecy lui-même.

Enfin, livrons-nous à un petit calcul. Etant donné que le secteur des transports est responsable de 42% (selon OREGES) à 46% (selon ATMO) des émissions du Grand Annecy (prenons la moyenne soit 44%), pour tenir l’objectif des -45% et donc compenser les 32% manquants aux transports (45%-13%), il faudrait que tous les autres secteurs (agriculture, industrie, résidentiel, tertiaire, soit 56% des émissions) baissent leurs émissions de 70% d’ici 2030 !!![19]

B/ LA POLLUTION

Les arguments donnés ci-dessus pour les émissions de CO2 sont pour la plupart valables aussi pour la pollution. La congestion routière n’est pas améliorée comme annoncé mais déplacée, le trafic induit par les infrastructures routières n’est pas pris en compte, le doublement de la RD3508 Sud non plus. Les hypothèses d’urbanisation posent question, et surtout les objectifs de report modal sont irréalistes vu les politiques de mobilité menées.

En outre, nous sommes sidérés par les baisses de pollution considérables annoncées. Par exemple, en ce qui concerne les NOx, il est écrit ceci : « Les émissions totales d’oxydes d’azote sont en forte baisse (-52%) malgré une hausse d’environ 12% des kilomètres parcourus sur le territoire entre 2017 et 2030. Comme le montre la figure ci-contre, ce résultat est obtenu grâce au renouvellement du parc avec des véhicules plus récents, ayant des normes environnementales plus contraignantes, ce qui permet un gain par véhicule très important sur les émissions. Cet effet est conjugué au recul des motorisations diesel, très émettrices en oxydes d’azote. » (PDU-AE page 129).

On a du mal à croire à un renouvellement du parc si rapide qu’il permettrait de diviser la pollution par plus de deux en seulement 13 ans et malgré 12% de km parcourus supplémentaires. Ce serait une merveilleuse nouvelle !

Il est aussi écrit (PDU-AE p131) : « Le plan d’action du projet de PDU permet une baisse de 9% des distances parcourues dans l’agglomération par rapport à l’évaluation tendancielle 2030. Cette baisse importante de kilométrage permet logiquement une nette amélioration des niveaux d’émissions de l’ensemble des polluants et gaz à effet de serre modélisés. En effet, comme le montrent les figures présentées dans le précédent paragraphe (et rappelées dans le tableau ci-dessous), on observe un gain de 56% sur les émissions de NOx par rapport à 2017. La baisse s’élève à 38% pour les PM10, 50% pour les PM2.5,[…] » Cette formulation laisse croire que les actions du PDU sont à l’origine de ces baisses très importantes, alors qu’on voit justement sur les figures et le tableau que l’impact du PDU n’est que de 4 à 6% de baisse selon les polluants.

Par ailleurs, il est écrit dans le PDU que celui-ci permettra « une baisse généralisée à l’échelle communale » des émissions de polluants atmosphériques (PDU-AE page 131).

En particulier il est annoncé qu’avec le PDU, la commune de Saint-Jorioz (qui est un bon marqueur de la situation sur la rive ouest du lac) bénéficiera d’une baisse spectaculaire de la pollution avec -19,7% de NOx et -20,8% de PM10. On peut lire en outre page 135 : « La modélisation des concentrations de dioxyde d’azote en moyenne annuelle, selon le scénario Actions PDU 2030, montre une baisse sensible de l’exposition de la population […] le long de la rive ouest du lac. »

Il faut rappeler ici que les projets routiers font partie du PDU, comme on le voit à travers l’action N°31, la « réalisation des aménagements routiers en partenariat avec le département de la Haute-Savoie ». On peut certes distinguer cette action des autres du PDU pour affiner l’analyse, mais on ne peut pas ignorer l’action N°31 comme c’est le cas ici quand il s’agit de prévoir la pollution à l’échelle communale. Cette analyse par commune n’ayant pas été faite dans la partie « tendanciel 2030 », affirmer qu’avec le PDU il y aura une baisse de la pollution dans toutes les communes est trompeur.

Rétablissons la vérité.

Dans le document d’évaluation de la qualité de l’air produit par ATMO-AURA à l’occasion du projet LOLA[20], on peut lire qu’avec LOLA, les émissions de NOx à Saint-Jorioz augmenteraient de 46% et les émissions de PM10 de 54% !

Le résultat est qu’en prenant toutes les actions du PDU y compris la N° 31, on obtient pour Saint-Jorioz une hausse importante des émissions de polluants liées aux transports, à savoir +26,3% de NOx (46-19,7) et +33,2% de PM10 (54-20,8).

Ajoutons que certaines analyses faites sur les prévisions du « tendanciel 2030 » (donc avec les projets routiers y compris LOLA mais sans les autres actions du PDU) sont en contradiction avec celles fournies lors du projet LOLA. En effet, comme on vient de le voir, LOLA amènerait à Saint-Jorioz 46% de NOx et 54% de PM10 supplémentaires. Or, on peut lire dans le PDU que selon le scénario tendanciel 2030 « La modélisation des concentrations de dioxyde d’azote (NO2) en moyenne annuelle […] montre une nette baisse de l’exposition de la population, avec une exposition maximale le long de l’autoroute A41, le long des axes principaux pénétrant au sud de l’agglomération et autour des entrées/sorties du tunnel reliant l’ouest du lac d’Annecy » et « La modélisation des concentrations de particules PM10 en moyenne annuelle […] montre une légère baisse le long des axes routiers de l’agglomération et une hausse des niveaux autour des entrées/sorties du tunnel reliant l’ouest du lac d’Annecy dans la mesure où cette infrastructure n’existe pas en 2017. »

Le terme « autour des entrées/sorties du tunnel » indique un surplus de pollution très localisé, comme on le voit d’ailleurs sur les cartes associées où un tout petit point rouge se trouve aux entrées/sorties du tunnel.

Mais comme nous l’avons vu, c’est bien toute la rive ouest au sud du tunnel qui sera impactée (comme le montre ci-dessus l’exemple de Saint-Jorioz), ainsi que toute la zone Seynod-Barral et environs (encore plus sensible à la pollution que la rive ouest, comme cela a été vu et revu lors de la concertation publique LOLA[21]).

3/ LA PARTIALITE DU PDU

Outre les différents points déjà signalés, nous ajoutons les suivants.

Il est écrit dans l’annexe environnementale (PDU-AE page 64) : « Le plan d’action comporte une seule action à incidence négative sur les émissions de GES. » Puis sont listées 6 actions « sans incidence », reste donc 33 actions « à incidence positive ».

Le mot « seule » laisse entendre qu’une action sur quarante, c’est négligeable.

Or, cette « seule action » a davantage d’impact budgétaire et environnemental que toutes les autres actions réunies.

Cette fameuse action, la N° 31 déjà évoquée, est la « réalisation des aménagements routiers en partenariat avec le département de la Haute-Savoie ».

Elle aurait d’ailleurs pour le moins pu être découpée en plusieurs actions, car ces « aménagements » concernent neuf projets routiers cofinancés par l’agglomération et le département par une convention déjà évoquée plus haut[22], à hauteur de 432 millions d’euros dont plus de 80% sont destinés aux infrastructures routières (dont l’élargissement de la RD1508 Nord, le doublement du contournement d’Annecy – RD3508 –, le tunnel sous le Semnoz).

La MRAe ne s’est pas laisser tromper. Elle écrit : « Le tableau de synthèse p. 93 indique pour chaque grande thématique environnementale (sauf la consommation d’espace qui n’y figure pas) le nombre d’actions du plan d’actions ayant une incidence positive, négative ou neutre sur la thématique. Tels que présentés, les totaux qui sont affichés et qui en résultent apparaissent à première vue représentatifs de l’impact du projet sur la thématique. Or, toutes les actions n’ont pas le même poids, loin s’en faut : on additionne « des éléphants et des souris ». Le tableau est donc potentiellement trompeur pour le public. » (AVIS-MRAE page 11), et plus loin : « Le tableau de programmation et d’évaluation financière montre que cette action [la N° 31] est, de très loin, l’action du PDU la plus « lourde » financièrement. » (AVIS-MRAE page 12).

Par ailleurs, nous regrettons une fois de plus qu’en ce qui concerne les GES, ATMO-AURA ne fasse référence ni aux préconisations du GIEC ni aux engagements locaux, régionaux, nationaux, européens et internationaux de réduction des émissions (qui montrent clairement l’insuffisance de ce PDU en la matière), alors qu’ATMO AURA ne manque pas de comparer les niveaux de pollution avec les seuils réglementaires européens et les valeurs-guides de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Nous avions pourtant déjà pointé du doigt cette distorsion dans nos courriers du 22/12/2018 et surtout du 12/01/2019.

CONCLUSION

Pour toutes les raisons données ci-dessus, nous sommes clairement et sans réserve contre ce PDU dont le bilan carbone est plombé par les nombreux projets routiers en cours ou prévus dans l’agglomération, une aberration en ces temps d’urgence climatique et totalement à rebours de ce qui est préconisé presque partout ailleurs.

Nous ne croyons pas que ce PDU fera baisser les émissions de CO2 alors que 80% des budgets mobilité dans l’agglomération vont aux projets routiers.

Nous pensons au contraire que ce PDU s’inscrit dans le scénario pessimiste du GIEC ou « aucun effort d’atténuation supplémentaire n’est déployé » et qui nous mène à une augmentation de la température mondiale de +4° à +5°C d’ici 2100[23].

Cette augmentation pourrait être encore supérieure sur le territoire du Grand Annecy, le climat des Alpes se réchauffant deux fois plus vite que la moyenne mondiale[24].


[1] « On additionne « des éléphants et des souris » » dit l’Autorité environnementale (AVIS-MRAE page 11).

[2] Projet Mobilité Ouest, Evaluation de la qualité de l’air en 2030 avec et sans aménagements, Octobre 2018 (ATMO AURA), page 6.

[3] Ibid., p. 42.

[4] Liaisons Ouest du lac d’Annecy, Mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage, Etude de trafic : modélisation statique (BG, 4 octobre 2018), pages 65-66 et 74-75. A noter que même le secteur entre Sevrier et Annecy risque de ne pas être « fluidifié » très longtemps puisque l’étude de trafic (page 88) nous indique que le tunnel serait saturé 137 jours par an dès 2030, donc peu après son ouverture, ce qui est inquiétant pour le trafic sur la RD1508 entre Sevrier et Annecy dès les années 2030.

[5] Expertise des hypothèses de trafic du dossier support de la concertation préalable sur le projet Liaisons Ouest du Lac d’Annecy (Liaisons Ouest du lac d’Annecy et PDU du Grand Annecy- Concertation publique, Béatrice Jarrige).

[6] Ibid.

[7] « Les facteurs d’évolution des émissions de CO2 liées à l’énergie en France entre 1990 et 2016 » (Commissariat général au développement durable, Ministère de la transition écologique et solidaire, Datalab, août 2018).

[8] Nom du document: « 20190611_ATMO_PDU_erratum1.pdf »

[9] Voir le Procès-verbal du Conseil Communautaire du 28 mars (et non du 28 avril comme indiqué page 111 du PDU-AE). L’annexe environnementale page 111 fait référence à ce choix de la manière suivante : « Pour le scénario « 2030 PDU », plusieurs scénarios ont été étudiés. Les hypothèses d’urbanisation retenues sont les plus modérées, conformément à la tendance fixée par le PLH approuvé par le Conseil d’agglomération du 28 avril 2019. »

[10] Dauphine Libéré du 13 juillet 2019, article « Le plan de déplacement urbain : trop ambitieux ou pas assez », page 10.

[11] « Convention de financement global pour tous les aménagements routiers programmés dans l’agglomération », signée le 27 juin 2016 par le Président du Conseil départemental de la Haute-Savoie et le Président du Grand Annecy (ex-C2A).

[12] Liaisons Ouest du lac d’Annecy, Mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage, Etude de trafic : modélisation statique (BG, 4 octobre 2018), pages 65-66 et 74-75.

[13] Dauphine Libéré du 13 juillet 2019, article « Le plan de déplacement urbain : trop ambitieux ou pas assez », page 10.

[14] Voir sur le site du Ministère de la Transition écologique et solidaire :

https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/accord-paris-et-cadre-international-lutte-contre-changement-climatique

[15] https://www.goodplanet.info/actualite/2018/10/08/jean-jouzel-reagit-rapport-giec-politiques-responsabilites

[16] Voir https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/projet-loi-mobilites

[17] Le SRADDET Auvergne-Rhône-Alpes a été arrêté lors de l’assemblée plénière des 28 et 29 mars 2019, puis soumis à enquête publique du 2 septembre au 4 octobre 2019. Il s’agit donc d’un document non encore finalisé avec lequel le PDU du Grand AY doit être compatible. Selon nous, le SRADDET avec lequel le PCAET du Grand AY doit être compatible est malheureusement « peu prescriptif » et « non territorialisé », ce qui laisse de trop fortes marges de manœuvre aux territoires très anthropisés.

[18] Intitulé « Soirée de restitution des ateliers climat ».

[19] 70=45+(32X44/56)

[20] Projet Mobilité Ouest, Evaluation de la qualité de l’air en 2030 avec et sans aménagements, Octobre 2018 (ATMO AURA), pages 42-43.

[21] Voir par exemple Etat zéro de la qualité de l’air, Projet Mobilité Ouest, Avril 2018 (ATMO AURA), page 22 et pages 37 à 40.

[22] « Convention de financement global pour tous les aménagements routiers programmés dans l’agglomération », signée le 27 juin 2016 par le Président du Conseil départemental de la Haute-Savoie et le Président du Grand Annecy (ex-C2A).

[23] Voir le rapport du GIEC de 2014.

[24] Voir par exemple le rapport de la Cour des comptes de février 2018 : « Entre 1880 et 2012, les températures moyennes dans les Alpes ont augmenté de plus de 2°C. Cette tendance s’accélère et se renforce. »

Un avis sur « Un PDU climaticide et partial »

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